samedi 1 avril 2023

Un vin à cépage unique peut-il être différent d'un autre vin du même cépage?

Le vignoble Le Cep d'Argent, Magog, Québec

Le vin dégusté
Lors d’un souper mémorable réunissant quelques anciens collègues de l’ex-ministère de l’Industrie, du Commerce et du Tourisme du Québec et après avoir dégusté l’excellent vin blanc québécois Cep d’Argent, monsieur Rodrigue Biron, ex-ministre de ce ministère, pose une question très pertinente! Il s’interroge sur les raisons pouvant expliquer les différences organoleptiques (visuelles, olfactives et gustatives) entre des vins élaborés avec un seul et même cépage. La question est lancée et nous tentons d’y répondre dans cet article!

Mentionnons d’abord que les vignerons de la planète vinicole désirent se démarquer en élaborant des vins de qualité, à leur image. Ces vins peuvent être soit d’entrée, de moyenne ou de haut de gamme. Plusieurs facteurs peuvent effectivement influencer sur les caractéristiques d’un tel vin à cépage unique et affecter la couleur, les arômes et le goût du vin. Essentiellement, ces facteurs sont le terroir du vin, le temps et, enfin mais non le moindre, le (la) vigneron(ne).

Le terroir du vin

Un vin est marqué d’abord et avant tout par son terroir. Celui-ci comprend notamment le sol et le sous-sol où les racines des plants de vignes vont se nourrir en y puisant notamment nutriments, minéraux et humidité. À titre d’exemple, un terroir au sol rocailleux contribuera à conserver un minimum de chaleur sur les pieds des ceps pendant la nuit (et les journées fraiches), ce qui pourra avoir un impact sur la maturité du raisin et du vin qui en résultera. Par ailleurs, un terroir au sol sablonneux produira généralement des raisins plus délicats et des vins plus aériens, plus fins ou moins costauds. Si le sous-sol est rocheux (calcaire), le vin qui en résultera et le raisin, risquent d’avoir des arômes et un goût minéral. L’emplacement géographique des vignes, idéalement situées sur des pentes orientées plein-sud et, ou, près d’un cours d’eau, peut aussi influencer positivement la maturité du raisin et la teneur en sucre, donc la qualité organoleptique du futur vin.

Un climat vinicole en Côte d'Or, Bourgogne, France
Un fait rarissime et passionnant, le terroir en Bourgogne, France, ne constitue pas uniquement un simple terroir dans cette région, on parle plutôt ici d’un « climat ». Effectivement, il existe plus de 1 200 climats regroupés essentiellement en Côte d’Or (Côte de Beaune et Côte de Nuits), la fameuse région vinicole des Grands Crus et de plusieurs des vins Premiers Crus. Ces climats-terroirs bourguignons inscrits au Patrimoine mondial de l’Unesco, réfèrent à des parcelles très limitées de vignes. Ils possèdent tous et chacun des caractéristiques naturelles très spécifiques à chacun d’eux, pour un même encépagement. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette typicité bourguignonne dont les spécificités géologiques, hydrologiques et climatiques ainsi que le grand savoir-faire vitivinicole bourguignon remontant à plusieurs siècles. Précisons enfin que chaque climat bourguignon est séparé par des balises physiques apparentes comme un muret de pierres, un chemin, un fossé, une clôture ou une haie.

Le temps

Lever du soleil sur le vignoble
Domaine des Côtes d'Ardoise, Dunham, Québec
D’abord, l’âge de la vigne peut faire une différence sur le degré de murissement du raisin et sur son degré d’acidité. Une vigne plus âgée produira en général un raisin plus savoureux qui perdra quelque peu en acidité pour gagner en complexité et en saveur. Le raisin récolté sur une telle vigne pourra ainsi offrir plus de corps, de complexité, de rondeur et de saveur au vin à devenir.

Aussi, la température (ou les conditions climatiques : soleil et chaleur vs pluie) aura une influence importante sur la maturité et la teneur en sucre du raisin ainsi que sur la qualité du vin futur. À titre d’exemple, un été ensoleillé et chaud accompagné de nuits relativement fraiches sera très bénéfique pour les vignes et pour les raisins. Toutefois, de fortes pluies survenant pendant et, ou, les jours précédant les vendanges, pourront nuire au vin à devenir, voire le gâcher! En effet, la pluie gorge les raisins d’eau et dilue ainsi les concentrations sucrière, aromatique et gustative des raisins, donc du futur vin. Bref, si cet été chaud et ensoleillé est suivi d’un automne chaud et sans pluie avant et durant les vendanges, le futur vin (millésime) devrait être sublime, voire exceptionnel.

Enfin, l’âge du vin (le millésime) est un autre facteur très important ayant un impact sur le parfum, le goût et la longévité du vin. Ce dernier évoluera et se transformera lors de son vieillissement en fut et en bouteille. Il perdra ainsi de son agressivité (acidité et tanins) pour gagner en complexité et en rondeur. À titre d’exemple, si l’on déguste à l’aveugle (étiquette masquée) un vin québécois du cépage seyval du millésime 2021 et le même vin du millésime 2017, on constatera invariablement une nette différence organoleptique : la couleur du 2017 sera plus foncée, les notes fruitées seront plus évidentes, plus nettes (pomme verte) alors que l’acidité aura fondue et sera bien intégrée à l’ensemble du vin. Celui-ci sera alors plus équilibré, plus agréable à déguster. Si le vin a vieilli en fut de chêne, il aura alors plus d’amplitude et de complexité. On pourra y retracer, entre autres, des notes de vanille, de fumée etc.

Le vigneron

Les frères Sieur, co-propriétaires vignerons,
Le Cep d'Argent, Magog, Québec
L’expertise et les pratiques du vigneron sont un facteur crucial dans l’élaboration d’un vin de qualité, y compris d’un vin à cépage unique. D’abord, comme mentionné en début d’article, le vigneron doit d'abord choisir entre produire un vin d’entrée, de moyenne ou de haut de gamme. Il plantera alors ses ceps en conséquence, ceux-ci seront plus espacés et mieux positionnés pour faire face au soleil s'il choisit de produire des vins de haut de gamme. Il fera également une taille printanière en fonction de son choix, il laissera 1 ou 2 bourgeons par ceps pour les vins de haut de gamme, à petit rendement, versus 4 à 5 bourgeons pour ceux d’entrée de gamme, à forte production. Il devra enfin choisir son mode de culture, soit entre la culture conventionnelle, raisonnée, biologique, biodynamique ou naturelle (sans sulfite). Ce choix aura un impact direct sur la qualité des raisins et du futur vin.

À titre d’exemple, la culture  biodynamique implique généralement le recours à des animaux (cheval, mouton, corne de vache, fumier…) en remplacement des machineries agricoles (très lourdes pour le sol) et des produits chimiques fertilisants ou herbicides (polluant pour l’environnement). On peut aussi faire appel aux astres en culture biodynamique et notamment au calendrier lunaire!

Notre valeureux vigneron suivra ses vignes durant toute la saison estivale et leur appliquera différents traitements (tailles-effeuillages, engrais…), selon les exigences du moment et son bon jugement, ce qui pourra contribuer à influencer le rendement des vignes et le murissement du raisin. Lorsqu’arrive la période des vendanges, il s’assurera que le degré Brix du raisin (sucre) est à point. Dans l’affirmative, il transmettra ses directives aux vendangeurs pour une cueillette sélective des raisins en fonction de la maturité de ceux-ci qui peut différée selon le relief des différentes parcelles du vignoble. Il suivra le pressurage du raisin et toutes les étapes de la fermentation du moût en vin, en s’assurant notamment de la propreté de la cuverie et du bon degré de température pour favoriser une fermentation  adéquate.

Puis, le temps fera son oeuvre tout en nécessitant une supervision de la part du vigneron durant toutes les étapes de la maturation, du vieillissement et de la mise en bouteille du vin. À la sortie des chais, d’autres facteurs pourront affecter la qualité du vin dont le type de contenants et de bouchons utilisés, le transport, l’entreposage, la lumière, la chaleur… 

Quelques mots sur monsieur Biron

M. Rodrigue Biron, ex-ministre, 1981-1985
Ministère de l'industrie, du Commerce et du Tourisme, Québec
Monsieur Rodrigue Biron est né à Sainte-Croix de Lotbinière en 1934. Il vit présentement dans la région de Québec sur le bord du fleuve Saint-Laurent, avec vue sur le pont de Québec, en direction est, et sur le clocher de l’église de Sainte-Croix à l’ouest, le village de son enfance. Il détient, entre autres, une formation en technologie de l’Institut technologique de Québec et en administration-marketing de l’Université Laval. Il a été un homme d’affaires accompli, en plus de siéger sur plusieurs conseils d’administration de sociétés privées et publiques, dont la Caisse de Dépôt et Placement du Québec. Il s’est également avéré un homme politique d’envergure et d’action, dont ministre de l’Industrie, du Commerce et du Tourisme du Québec, au gouvernement du Parti Québécois, de 1981 à 1985. À ce titre, il a été responsable, notamment, de la réforme sur l’industrie des boissons alcooliques de 1983-84 qui a lancé la production artisanale de boissons alcooliques au Québec. Il aura été un ministre populaire, apprécié et respecté des interlocuteurs qu’il a côtoyés et particulièrement des employés cadres du ministère. Ses principales qualités sont sa grande écoute proactive, son humanisme, sa vision, son esprit d’entrepreneuriat et sa fougue dans l’action.

M. Biron a toujours eu une grande confiance dans la capacité des Québécoises et des Québécois d’innover et de réussir! Aujourd’hui, le Québec compte plus d’une centaine de cidreries ainsi que près de 200 vignobles et de 350 microbrasseries. Aussi, le réseau des distilleries artisanales s’est beaucoup développé au cours de la dernière décennie et regroupe maintenant une cinquantaine de producteurs. Ce ministre a ainsi contribué à la création de plusieurs milliers d’emplois, voire plus d’une dizaine de milliers en incluant les emplois indirects. Il a aussi favorisé l’instauration d’un nouvel art de vivre au Québec. En effet, c’est maintenant devenu très couru  de se rendre dans les vignobles, les microbrasseries et chez les autres producteurs artisans de boissons alcooliques pour y rencontrer le producteur-artisan et goûter ses produits. Enfin, les producteurs de boissons alcooliques artisanales élaborent des produits de grande qualité comme en témoignent les milliers de prix et de médailles remportés par ceux-ci, aux échelles nationale et internationale, depuis la fin des années 1980.

Merci monsieur Biron d’avoir osé lancer la production de boissons alcooliques artisanales au Québec et d’avoir cru dans le talent québécois pour en faire un très grand succès. Vous laissez un legs fabuleux à la société québécoise.

Le mot de la fin

En résumé, une foule de facteurs peuvent influencer l’odeur et le goût d’un vin à cépage unique. L’important est toutefois de le déguster en bonne compagnie et avec le mets approprié, le tout dans le plaisir et dans le respect du savoir-faire ainsi que du travail du vigneron. Santé!



Rédigé par Jacques Ouimet, ex-gestionnaire, ministère Industrie, Commerce et Tourisme du  Québec

Révisé par Suzanne Cromp, Coups de cœur vinicoles

Lu par monsieur Rodrigue Biron et madame Liette Dupuis.

P.S. : Après avoir lu un extrait de cet article, madame Liette Dupuis (conjointe de M. Biron) nous a transmis ces mots : « Nous avons toujours un grand intérêt à mieux comprendre l’élaboration du vin qui nous défie et qui nous ravit! », citation qui passera peut-être à l’histoire!